Aux origines

Ma famille est Alsacienne, profondément Alsacienne : il y a 20 générations de cela mes ancêtres naissaient, vivaient et mouraient déjà en Alsace. Tous ? Non pas tous.

L’Alsace a de tous temps été une terre de passage, de rencontres, de conflits également, autant d’éléments propices au brassage des populations. Partant du postulat que très peu de mes branches sont véritablement natives de la région, je me concentre sur la découverte des origines de celles-ci. La plupart de mes articles traitent d’ailleurs de cette question et je voudrais tenter ici un premier survol des origines de ces ancêtres ainsi que les raisons et les conditions de leur arrivée en Alsace. Commençons à notre époque et remontons les siècles en nous arrêtant à chaque apport étranger.

Premier arrêt, 1871 1 : l’Alsace et la Moselle viennent d’être annexées à l’Empire allemand nouvellement proclamé ; fonctionnaires et militaires affluent à Strasbourg. Parmi eux, Gustav Seidel, Sergeant au 2. Niederschlesisches Infanterie-Regiment Nr .47. Il fait sont entrée officielle dans la famille le 22 novembre 1874 en épousant un peu précipitamment Anna Kuntz, une jeune alsacienne de 11 ans sa cadette et enceinte de 8 mois de leur premier enfant. Nul doute que cette union a dû faire grincer quelques dents. Comme l’indique le nom de son régiment, Gustav est natif de Silésie. Un peu à l’instar de l’Alsace, celle-ci se situe à la croisée de plusieurs influences : autrichienne, polonaise et prussienne. En 1870 la région est prussienne depuis 1763, année qui marque la fin des guerres de Silésie déclenchées lors de l’invasion de la région, alors autrichienne, par les Prussiens en 1742. La Silésie restera en grande partie allemande jusqu’en 1945 et son annexion à la Pologne. Les Allemands sont alors expulsés et remplacés par des Polonais eux-mêmes expulsés des régions orientales cédées à l’URSS.

Cette histoire riche et tourmentée complique singulièrement les recherches. Parmi les principales difficultés, citons la disparition des toponymes allemands au profit de noms polonais : Gustav naît ainsi à Groß Peterwitz, aujourd’hui Piotrkowice ; sa mère à Gellendorf renommé en un invraisemblable Skokowa. Relevons également l’absence totale de programmes de numérisation des registres (en supposant bien sûr que lesdits registres n’aient pas disparu après 1945) et plus généralement le désert généalogique concernant cette région, rien qui pourrait constituer un solide point de départ pour mes recherches. Je parle de point de départ car actuellement je ne dispose pour tout document que de la photocopie d’un vieil Ahnenpaß incomplet ; 26 personnes, une misère au regard des autres branches et une grande frustration car cette région frontalière ouvre potentiellement une porte sur toute l’Europe de l’Est.

Retour en Alsace, dans les années 1730 2. Celles-ci voient l’installation de Melchior Specht à Hohwiller dans le nord de l’Alsace. Contrairement à Gustav, son arrivée ne s’inscrit pas dans un contexte historique chargé mais semble plus liée à une problématique économique : Melchior est berger ou, plus justement, gardien de troupeau au sens qu’il ne possède rien mais loue ses services à des communes dont les éleveurs lui confient leurs bêtes, charge à lui de s’en occuper en échange d’un toit et d’un maigre salaire. Ce métier est précaire, ceux qui l’exercent doivent aller chercher le travail là où il se trouve et c’est probablement ce qu’a fait Melchior, peut-être poussé par une crise économique locale dans sa région natale, le Wurtemberg. La numérisation des registres est en cours et avance lentement. Les villages qui m’intéressent n’ont pas encore été traités mais les registres existent toujours et ce n’est donc qu’une question de temps avant de pouvoir poursuivre plus avant sur cette branche.

Avant d’aborder l’étape suivante et avec elle le XVIIe siècle, il est indispensable à ce stade de préciser que tous mes ancêtres étaient protestants, exception faite de ceux ayant vécu avant l’introduction de la Réforme (durant les années 1520-1550 en Alsace) bien entendu. Ma généalogie est de ce fait extrêmement marquée et presque intégralement définie par les événements liés à la question religieuse qui secoueront l’Europe tout au long de ce siècle. Il est également important d’introduire deux termes que j’utilise souvent et qui désignent les deux branches principales du protestantisme : d’un côté les réformés ou huguenots se réclamant de Calvin et de l’autres les luthériens suivant la doctrine de Luther. Dire que ces deux branches se sont longtemps considérées avec méfiance serait un doux euphémisme.

1685 3 : Louis XIV vient de signer l’édit de Fontainebleau – plus connu sous le terme de « Révocation de l’édit de Nantes » – et point d’orgue de la politique discriminatoire menée envers le protestants de France. Seul choix possible : l’abjuration, le retour dans le giron de l’Église catholique. Un grand nombre de protestants se tourne cependant vers une autre option : l’exil, bravant ainsi l’interdit royal de quitter le royaume. Ils vont chercher refuge en Grande-Bretagne, au Pays-Bas, dans les principautés et villes libres allemandes ainsi que dans les cantons suisses. L’Alsace est déjà française à cette époque et, bien que protégée de la révocation, ne peut constituer une terre d’accueil durable pour les exilés. Le comté de Sarrewerden situé aujourd’hui en Alsace bossue fait figure d’exception : occupé par la France depuis les années 1680, il est rendu à ses propriétaires légitimes les comtes de Nassau-Sarrebruck en 1697, réintègre le Saint-Empire romain germanique et retrouve ainsi sa liberté de culte.

Profitant de la proximité du comté avec la Lorraine, quelques huguenots du pays messin viennent y trouver refuge durant la décennie suivant la révocation. Parmi eux, les Join et les Pilla. Après avoir dans un premier temps abjuré et continué à vivre chez eux, ils finissent par venir s’installer dans les « villages welsches » principalement peuplés de descendants d’une première vague de réfugiés messins arrivés 120 ans auparavant – nous y reviendrons. Cette particularité a probablement pesé lourd dans leur choix : ils retrouvaient ici des personnes partageant la même langue, la même foi et le même mode de vie. Il n’est également pas impossible qu’il ait pu subsister de lointains liens familiaux mais cette hypothèse n’a pour l’instant été étayée par aucune preuve tangible. Les registres mosellans sont numérisés et m’ont déjà permis de remonter jusqu’au milieu de XVIe siècle mais je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur l’histoire locale de cette région bien différente de l’Alsace.

Nous arrivons maintenant à l’une des périodes les plus sombres de l’histoire régionale : la guerre de Trente Ans, de 1618 à 1648 4. Jamais sa position au carrefour des routes n’aura autant desservi l’Alsace. Elle ressort du conflit exsangue. Les campagnes sont désertées, les villages abandonnés ou détruits, les champs en friche. Il est urgent et vital de repeupler. Pour cela, les autorités ont l’idée de faire appel à l’immigration helvétique. Pourquoi ?

Durant la guerre la Suisse, fidèle à sa politique de neutralité, avait joui d’une croissance économique soutenue, sa production agricole trouvant sans peine des débouchés dans une Europe dévastée et affamée. Cette croissance entraîna une forte inflation qui poussa les habitants à s’endetter, à première vue sans conséquence, le produit des exportations excédant largement le poids de la dette. Cette bulle ne tarda pas à éclater : la paix rétablie, les pays voisins purent à nouveau subvenir à leurs propres besoins et la manne financière se tarit. La crise économique qui suivit toucha principalement les campagnes, les villes, concentrant les pouvoirs et les richesses, ayant pris soin de tirer la couverture à eux. La crise économique engendra une crise sociale qui en avril 1653 dégénéra en révolte. Celle-ci fut matée dans le sang deux mois plus tard. Les meneurs furent exécutés, les autres bannis ou contraints de payer de fortes amendes. L’émigration apparut alors pour beaucoup comme la seule option viable.

Une région vidée de ses habitants d’un côté, un pays ne pouvant plus subvenir aux besoins de ses classes populaires de l’autre, la solution était évidente. Ce sont ainsi, de 1654 jusque dans les années 1730, plusieurs dizaines de milliers d’immigrants qui viennent s’installer en Alsace. Je ne citerai pas de noms car on ne parle plus ici de quelques individus ni d’une ou deux familles mais d’une multitude de rameaux éparpillés à travers tout mon arbre – cette ascendance suisse constitue d’ailleurs l’une des principales caractéristiques de toute généalogie alsacienne. La plupart des immigrés sont originaires de l’Oberland bernois, l’une des régions les plus touchée par la crise. Ils amènent leur langue, très différente de celle parlée en Alsace, leur religion, ce sont des réformés quand l’Alsace est luthérienne, et leurs coutumes. Les registres ont survécu mais ne sont ni numérisés ni en passe de l’être. Il faut pour l’instant soit se rendre sur place soit s’en tenir aux recherches effectuées par les généalogistes suisses.

Dernière étape, 1559 5. Même unité de lieu et d’action qu’en 1685. Les réfugiés qui arrivent dans le comté de Sarrewerden sont eux aussi réformés, originaires du pays messin et contraints de fuir les persécutions religieuses. Si les circonstances sont identiques, cet épisode se distingue par son ampleur : ce sont plusieurs dizaines de familles, des centaines de personnes, qui s’installent, avec le soutient des autorités, dans sept villages abandonnés mis à leur disposition, créant ainsi des îlots francophones et réformés au sein d’une région germanophone et luthérienne. La cohabitation se déroule sans heurts mais il faudra tout de même attendre plusieurs générations avant de voir des mariages entre ces deux communautés. Un problème de taille se pose pour les recherches : il n’existe aucun document contemporain de cet épisode. On en sait suffisamment pour établir avec certitude une descendance mais pas assez pour poursuivre les recherches en Lorraine. Ne boudons cependant pas notre plaisir : il est déjà assez miraculeux d’avoir pu rattacher l’histoire familiale à un événement vieux de plus de 450 ans et dont les acteurs n’étaient ni des nobles ni des notables mais de simples paysans.

Terminus, fin du voyage. Se pose inévitablement la question : « et avant ? » Avant on ne sait pas, avant c’est un peu la préhistoire de la généalogie. On connait bien sûr l’Histoire avec un grand « H », celle des livres mais la petite, celle des ancêtres sur lesquels on peut mettre un nom prend fin, faute de registres, quelque part entre le XVe et le XVIe siècle. Que dire des branches qui, se heurtant à cette limite, sont encore solidement ancrées en Alsace ? Pour celles que l’on aura pu rattacher à une personne noble, on pourra remonter avec un peu de chance jusqu’à Charlemagne, sorte de Graal généalogique un peu futile. Pour les autres, la région n’ayant pas connu de grands bouleversements démographiques durant le Moyen-Âge, on pourra s’imaginer des paysans francs ou alamans et, plus loin encore, celtes ou romains. Tout ceci n’est que suppositions et à ce stade le seul outil pouvant apporter quelques réponses – ou surprises – est la génétique, piste que j’explorerai certainement un jour.


1. Voir Histoire familiale et réalité.

2. Voir Jeu de piste.

3. Voir Une famille du Grand Refuge.

4. Voir Un lien épineux.

5. Voir 1559, année zéro.

1 réflexion sur « Aux origines »

  1. Mertz/Meerts/Merte/Meert(e) famille patricienne aux Pays-Bas (Gueldre), Belgique (Bruxelles-Flandre) connue à Bruxelles depuis l’an 900.

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