Morts édifiantes

Les registres paroissiaux sont, de par leur nature même, souvent rédigés dans un style administratif et ne se contentent de fournir que les informations absolument nécessaires. Celles-ci sont évidemment très précieuses mais restreignent la vie des personnes concernées à une collection de lieux et de dates. Il arrive cependant parfois qu’un pasteur ou un curé à la plume un peu plus dégourdie décide d’aller au-delà du simple acte administratif et, endossant l’habit de chroniqueur, de nous offrir un aperçu de la vie de ses paroissiens.

Dans cet article, le premier d’une série, nous ouvrons le registre des décès de l’Église réformée française de Bischwiller aux pages courant de 1713 et 1714, Les actes rédigés durant ces deux années par le pasteur Abraham de Champ-Renaud sont absolument remarquables, d’un niveau de détail que je n’ai retrouvé qu’à de très rares occasions. J’en retranscris ci-dessous quelques-uns des plus édifiants mais je vous encourage vivement à en consulter l’intégralité 1, d’autant plus que ceux-ci sont faciles d’accès car – point remarquable en Alsace – rédigés en français, dans un style et une écriture parfaitement lisibles. Ces actes nous replongent dans un temps où les femmes mouraient en couches, où une simple fièvre pouvait vous emporter et où des maladies aujourd’hui disparues faisaient encore des ravages.

« Marie Périn fille de feu Jonas Périn originaire de Tramelan dans l’Erguel, de la dépendance de l’Evêché de Bâle, décédé le 22 d’Août 1705 ; femme de Henri Ringgberger, natif de Ringgberg Balliage d’Inderlach au Canton de Berne en Suisse ; Elle mourût le 20 et fût ensevelie le Dimanche 22me Janvier 1713 à l’heure du Catéchisme, aâgée de 23 ans et 7 semaines, étant née le 3 de Décembre 1689 à Manheim où son Père défunt s’étoit retiré ;  Elle fût 24 heures en travail d’Enfant dont ne pouvant être délivrée ni secourrue par aucun moien parce que l’Enfant étoit mort, on se résolu de lui apliquer le Spéculum Matris pour l’arrâcher afin de sauver la vie à la Mère ; L’opération se fit avec bien de la pêne assès heureusement, et la patiente s’étant remise au lit, elle mourût une heure après, fort tranquilement. Elle avoit eu 3 Enfans qui sont tous morts avant elle et qu’elle avoit toûjour mis au monde avec beaucoup de travail. Elle a fait une mort trés édifiante. »

« Françoise Robin fille de feu Jean Batiste Robin Citoien de la ville de Lausanne véve de François Meÿer Charpentier de Mandach Balliage de Schenkenberg Canton de Berne, mourût le 26 May et fût ensevelie le 27. 1714, agée de 55 ans, étant née le 13 May 1659 ; Elle s’étoit retirée ici après la mort de son mari, qui mourût à Neustatt au Palatinat en 1710, vouloit aller dans La Caroline avec 2 enfants dont l’un mourût le 24 Juillet 1713, l’autre reste orfeline de tout parens et étrangére en ce lieux ; Elle est morte de l’hidropisie dont elle a langui 13 semaines ; L’impatience lui fit souhaiter malgré tout avis qu’on lui dona des coups de lancette aux jambes qui étoient extremement grosses, cela adoucit ses souffrances pour quelques jours, mais elles recommencérent avec plus de violence que jamais, jusqu’à ce qu’elle mourût en grand tourment, avec assès de constances comme il paroissoit ; fut ensevelie aux fraix de l’Eglise. »

« Théophile Reboul fils de Monsieur Pierre Reboul originaire du Daufiné, Ancien du Consistoire et Régent de l’Écôle françoise, Bourgeois de Bischeviller, et de discrètte Elisabeth Morel sa famme, mourût le 3me et fût enseveli le 4me d’Août 1714, âgé de deux ans et 13 jours, aiant été batisé le 20 Juillet de l’année 1712 ; il est mort de la petite vérole qui se changeâ dans une fiévre pourprée dont il n’a été malade que 3 jours ; C’étoit un Benjamin de son Père, fils unique, qu’il avoit obtenu de Dieu dans sa vieillesse, et qui paroissoit promêttre beaucoup ; puis qu’à l’âge de deux ans il comprenoit également bien et le françois et l’alleman ; et qu’il n’avoit point de plus grand plaisir que de chanter, ou entendre chanter les Loüanges de Dieu ce qui pouvoit faire cesser ses pleurs, et le faire sauter de joie aussi souvent qu’il les entendoit chanter et chez son Père et dans le voisinage ; Je l’aimois comme mes propres yeux. »


1. Le registre numérisé est consultable sur le site des Archives Départementales du Bas-Rhin à cette adresse : http://etat-civil.bas-rhin.fr/adeloch/index.php sous la référence Bischwiller, Église réformée française, S, 1688-1750, 3 E 46/15. Les pages en question se trouvent aux vues 43 à 46.

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