Ces Allemans mangeurs de saurcraut

Ce nouvel épisode nous entraîne aujourd’hui hors d’Alsace jusqu’au village de Corcieux dans les Vosges, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau du Haut-Rhin. Aucun de mes ancêtres n’est originaire de cette région aussi ai-je découvert l’extrait suivant par hasard sur le blog de Dominique Valentin, Coups d’oeil sur le passé. Nous sommes en janvier 1675 et le curé écrit, en marge du registre des décès 1 :

« En ce temps monsieur de Turenne chassa les Allemans hors de L’Alsace, leur armée étant composée de soixante mil hommes, et celle de monsieur de Turenne de vingt cing mil. Action très glorieuse pour mondit sieur, et tres ignominieuse pour les mangeurs de saurcraut. »

Suite aux traités de Westphalie de 1648 les possessions des Habsbourg en Alsace, correspondant à peu près aux actuels département du Haut-Rhin et du Territoire de Belfort, sont sous domination française aussi s’agit-il techniquement bien, comme l’écrit le curé, d’une libération de l’occupation des « mangeurs de saurcraut ». Si Turenne est un héros aux yeux des Français, c’est un bourreau pour les Allemands depuis le ravage du Palatinat en 1674 durant lequel Turenne et son armée brûlent villes et villages, tuent et pillent à tout va. On parlerait aujourd’hui de crimes de guerre.

L’armée de Turenne est en Alsace depuis 1674 et comme toute armée en campagne à l’époque, se ravitaille en rançonnant les régions qu’elle traverse 2. La présence d’une armée est donc toujours synonyme de vols, de pillages, de destructions, d’exactions en tout genre, de disette voire de famille pour les populations locales. Difficile dans ces conditions pour les Alsaciens de voir en Turenne le libérateur encensé côté français. Les habitants lui sont au mieux indifférents et bien souvent, particulièrement dans les anciennes possessions des Habsbourg, hostiles.

La victoire mentionnée dans le registre de Corcieux trouve son origine dans la bataille de Turckheim le 5 janvier 1675 au cours de laquelle Turenne, prenant les Allemands par surprise, les force à battre en retraite et à repasser le Rhin. Après la bataille, la ville de Turckheim, accusée d’avoir soutenu l’ennemi, sera livrée aux pillages quatorze jours durant. Cet épisode tragique déchaîne aujourd’hui encore les passions au sein des cercles autonomistes alsaciens. Un monument à la gloire de Turenne, maladroitement érigé à Turckheim en 1932, sera détérioré à plusieurs reprises : détruit durant la Seconde Guerre Mondiale, reconstruit en 1958, recouvert de peinture en 1975 à l’occasion du tricentenaire de la bataille, plastiqué en 1979 avant d’être à nouveau reconstruit en 1998.


1. Le registre numérisé est consultable sur le site des Archives Départementales des Vosges à cette adresse : http://www.archives-recherche.vosges.fr/archive/recherche/etatcivil/ sous la référence Corcieux, Sépultures, S, 1668-1700, Edpt117/GG_5-19712. La page en question se trouve à la vue 8.

2. Voir à ce sujet l’article Les fourrageurs qui donne une idée du comportement d’une telle armée.

2 réflexions sur « Ces Allemans mangeurs de saurcraut »

  1. Merci d’avoir cité mon billet sur mon blog. Seul le nom de l’auteur « Chadal » est erroné, une confusion probable de votre part avec un(e) autre blogger(euse).
    Quoiqu’il en soit, je continue à lire avec plaisir et intérêt vos articles.
    Dominique Valentin, auteure du blog « Coups d’oeil sur le passé ».

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