Georges Kuhn, mon arrière-grand-oncle, est tombé le 13 décembre 1914 à Saint-Baussant en Meurthe-et-Moselle au cours d’une des nombreuses tentatives françaises de réduire le Saillant de Saint-Mihiel formé en septembre 1914 suite à l’offensive allemande en direction de Verdun. Georges n’est cependant pas « mort pour la France » mais, né à Morsbronn-les-Bains en 1889, a logiquement combattu sous l’uniforme germanique. On ne parle pour cette guerre pas encore de Malgré-nous bien que le terme ait été introduit par quelques vétérans d’Alsace-Lorraine dès 1920 pour signifier qu’ils n’avaient pas choisi de se battre contre la France. Le contexte est en effet bien différent de celui de la Seconde Guerre mondiale : dans leur grande majorité, les mobilisés sont nés après l’annexion de 1871 et, bien qu’ils ne soient probablement pas de fervents patriotes, ne se sentent pas français pour autant et il ne leur parait pas anormal de se battre sous l’uniforme allemand.
Petit-frère de Barbara, mon arrière-grand-mère maternelle, Georges – ou plus justement Georg – n’était pas encore marié lorsqu’il partit au front et ne laissa donc ni femme ni enfant derrière lui mais connut brièvement ma grande-tante née en janvier 1914. Ses papiers militaires ont disparu, rendant difficile la reconstitution de son parcours. Seules subsistent quelques photos en uniforme ainsi que celle, plus grave, de sa tombe qu’on devine encore fraîche lors de la prise de vue. Au moment de son décès, il appartenait à la 2e compagnie du 1. Garde-Brigade-Ersatz-Bataillon. Ces bataillons de réserve (ersatz) étaient constitués de soldats ayant achevé leur service militaire (celui-ci prenait fin à 22 ou 23 ans selon l’arme choisie). Ils n’étaient normalement amenés à combattre qu’en soutient mais on peut aisément comprendre qu’en cette période, toutes les forces disponibles étaient mises à contribution. Les bataillons de réserve sont ainsi mobilisés dès le début de la guerre en août 1914.
Georg disparaît donc le 13 décembre 1914, un jour après le déclenchement de l’attaque devant Saint-Baussant alors occupé par les Allemands. Cette opération sera la dernière d’importance de l’année dans le secteur et se soldera par un échec sanglant pour les Français. Un article paru le 4 septembre 1921 dans l’hebdomadaire La Croix de la Drome relate les funérailles de trois frères tués pendant la guerre, dont deux le 12 décembre 1914 devant Saint-Baussant, et dont les dépouilles ont été enfin restituées à la famille. Il donne une idée des conditions de l’assaut : « Le 12 décembre 1914, vers 2 heures, le 286e se porte à l’attaque des tranchées ennemies, devant Saint-Baussant… Il faut avoir vu le terrain à cette date pour se rendre compte des difficultés. C’est un lac de boue dans lequel la progression est terriblement difficile et lente. On avance, ou plutôt on se traîne, par bonds, et à chaque arrêt les hommes se couchent dans la glaise gluante qui encrasse les fusils et les rendra bientôt inutilisables. »
Les vestiges de la tranchée allemande, creusée au mois d’octobre lors de la stabilisation du front dans le secteur, et que les Français surnommèrent « la tranchée des farfadets », sont encore visibles aujourd’hui. Peut-être est-ce dans cette tranchée dont le nom si poétique offre un contraste d’autant plus saisissant avec l’enfer boueux décrit dans La Croix de la Drome, face aux hommes du 286e, que Georg trouva la mort il y a presque cent ans de cela âgé, il convient de le rappeler, d’à peine 25 ans. Son nom figure sur le monument aux morts de Morsbronn, accompagné de ceux des 22 autres jeunes du village disparus au cours de la Grande Guerre parmi lesquels on reconnait quelques patronymes familiers : Daab, Roessel, Schnepp, Wendling… À l’instar de bien des monuments de ce type en Alsace, celui de Morsbronn affiche un sobre « À nos morts » afin d’éviter un ambigu « Pour la Patrie » et plus encore un impossible « Pour la France ».
Beau témoignage! Quelle prestance! La famille devait être fier de lui. C’est un bel hommage que vous lui rendez-là! J’en ai une semblable, avec la même coiffe. Casque dont on m’a assuré, à tort où à raison, d’ être à l’origine d’une expression vulgaire concernant une certaine balayette rangée dans un endroit insolite.
Il y aurait bcp à dire sur les malgrés-nous, c’est un terme récurant qui sert surtout la propagande et couvre de nombreux mensonges. Les allemands qui ont fait les tranchées de début de guerre, sont de facto des poilus. Eux aussi, n’étaient pas rasés. J’ai ainsi le portrait d’un de ces « poilus » en uniforme et du « mauvais côté », de retour du front qui légitimise, l’emploi de ce terme. Une photo d’une rareté extrême et qui vient corroborrer l’origine prétée à ce surnom (utilisé également Outre Rhin, mais qui n’a pas été relayé de la même manière avant de sombrer complètement dans l’oubli). Il ne faut pas oublier, que à la vue du prix d’une photographie, ils préféraient y apparaître à leur avantage. La fierté allemande, n’aurait pas permis à la propagande d’utiliser des photographies où le soldat n’apparaissait pas à son avantage. J’ai de la chance, d’en avoir une. La barbe y est partiellement taillée de retour de tranchée, afin de pouvoir immortaliser le moment, sans pour autant ressembler à un homme des cavernes. Immédiatement après la photo, il l’a complètement enlevé écrira t-il dans une lettre.