Le Neuweyerhof

À quelques kilomètres à l’est d’Altwiller, au bout d’une petite route serpentant à travers la forêt communale et bordant le canal des houillères de la Sarre, se trouve le hameau du Neuweyerhof. Si des maisons ont disparu, remplacées par d’autres, et que le canal, creusé entre 1861 et 1866, a quelque peu ouvert l’horizon, l’aspect général n’a pas dû trop changer depuis les débuts de ce qui était alors une petite colonie de fermiers suisses. Retour sur ces premières années.

En 1751, Wilhelm Heinrich, comte de Nassau-Saarbrücken, seigneurie dont fait alors partie Altwiller, fait édifier un petit château à proximité d’une source d’eau ferrugineuse aux vertus supposées thérapeutiques. Cette bâtisse servira de relais de chasse et d’établissement de bains pour accueillir les courtisans suivant le comte dans sa villégiature. Non loin, Wilhelm Heinrich, désirant mettre ses terres en valeur, établit quelques censes qu’il entend louer à des métayers suisses dont les qualités d’éleveurs ne sont plus à démontrer. Le mot est ainsi passé et les premiers locataires ne tardent pas à arriver. Ceux-ci appartiennent tous à la même communauté, pour ne pas dire famille. On recense ainsi Ulrich Büllmann, le patriarche né en 1701 à Schangnau, village de l’Emmental dans le canton de Berne, son neveu Christian, sa nièce Maria Depp et son époux Johannes Zahler ou encore Ulrich Schindler qui, s’il n’est pas directement apparenté, est également originaire de Schangnau.

Les fermes du Neuweyerhof ne sont cependant pas les seules du vaste domaine forestier qui borde Altwiller : Magdalena, une fille d’Ulrich, épouse Ulrich Augsburger en 1760 et le couple s’installe à Bonnefontaine ; la famille d’Abraham Schwendemann, originaire de Niederstöcken à 40 km de Schangnau, s’établit au Giessert et enfin, Ulrich ainsi que plusieurs de ses enfants travailleront quelques temps au Ensweilerhof. Une certaine mobilité était donc de mise et le Neuweyerhof ne représentait alors peut-être pour eux qu’une étape parmi d’autres. Si la génération d’Ulrich est encore née en Suisse, la suivante a vu le jour dans les fermes isolées du Ban de la Roche, de la forêt de Barr et de la vallée de la Bruche. Christian naît au Munchhof en 1727 où son oncle et son père sont alors marcaires mais lorsque ce dernier décède un an plus tard, la famille est de retour à la Barrer Melkerei. Maria naît à la Haute-Goutte en 1726 et épouse Johannes à Belmont en 1744 ; quant à la femme d’Ulrich Schindler, Catharina Schneider, elle est originaire de Rothau où leurs noces sont célébrées en 1760.

Cette halte de près de 25 ans dans les fermes vosgiennes occupées majoritairement par des familles anabaptistes installées pour les plus anciennes depuis la fin de la guerre de Trente Ans laisse à penser que certains des censiers du Neuweyerhof étaient probablement eux-même anabaptistes à l’origine. Un acte le mentionne explicitement : en 1761 se présente un certain Peter Gerber, jeune homme de 24 ans dont le père, décédé avant sa naissance et ancien marcaire au Hohwald, était également originaire de Schangnau. Il explique que sa mère appartient à la communauté des Wiedertaufen – traduction littérale d’anabaptiste – et ne l’a donc pas fait baptiser à la naissance. Peter souhaite réparer ce qu’il considère comme une erreur et demande à être baptisé à Altwiller, requête à laquelle le pasteur accède à condition qu’il embrasse la foi réformée. Le baptême est célébré le 9 avril en présence d’Ulrich Büllmann, Ulrich Schindler et Magdalena Augsburger, ses parrains et marraine.

Peu à peu et bien que la tendance à l’endogamie reste forte dans un premier temps, des alliances se nouent en dehors de la communauté et de nouveaux noms font leur apparition au hameau. Certains sont encore d’origine suisse mais d’autres appartiennent à des familles implantées depuis plus longtemps en Alsace bossue et témoignent de l’intégration des nouveaux arrivants dans la région. Aujourd’hui encore se dresse dans le petit cimetière, au milieu de tombes aux inscriptions effacées par le temps, en témoin de ces mariages « mixtes », la sépulture d’Ulrich Schindler (1784-1852), le petit-fils de son homonyme, et de son épouse Magdalena Balliet, issue d’une vieille famille de Rauwiller et sur laquelle on peut lire : « 48 Jahre lebten Beide in stiller Ehe auf dem Neuweyerhof ».

Cela fait longtemps qu’on ne trouve plus de Büllmann, Schindler ou Zahler au Neuweyerhof et qu’on n’y entend plus le Schwyzerdütsch de Schangnau. Les familles nombreuses ont disparu, les cris d’enfants se sont faits plus rares et l’école, ouverte dès les premières années, a fermé dans les années 1950 faute d’élèves. Si les habitants ne sont plus les mêmes, il y a tout de même fort à parier que beaucoup portent en eux, à l’instar d’un grand nombres de personnes des villages environnants, une petite partie de ces colons suisses arrivés au Neuwyerhof un peu par hasard il y a 250 ans de cela.

1 réflexion sur « Le Neuweyerhof »

  1. Me suis demandé qui était Magdalena Balliet, ai cliqué dessus, me suis retrouvé sur ton arbre généanet, pour voir que son père Jacob Balliet né en 1752 était l’ancêtre commun de nos 4 grands-parents : 1) Frédéric Heller mari de Emma Stoeckel en 5e génération; 2) Emma Stoeckel elle-même en 5e génération; 3) Emile Rieger en 4e génération et 4) Madeleine Scheuer en 4e génération.

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