Si aujourd’hui, l’histoire de la famille Degermann est intimement liée à celle de Barr, il fut un temps où ce nom y était totalement inconnu, un temps où le premier à l’y porter n’était qu’un étranger, un nouveau venu dans cette ville. Qui était-il ? D’où venait-il ?
Le premier de la lignée, Johannes, se marie en 1623 avec Barbara, la veuve de Thomas Schober, le regretté tenancier de ce qui est déjà à l’époque une institution de Barr : l’auberge au Brochet. Espérons que le jeune homme, alors âgé d’une petite vingtaine d’années, ait su s’appuyer sur son épouse pour apprendre les ficelles de son nouveau métier car aubergiste, Johannes ne l’est pas ; non : Johannes est tanneur, tout comme son père Nicolas. Nicolas et non pas Niclaus, Claus ou autre variante germanique car Nicolas n’habite ni n’est originaire de Barr mais appartient à la communauté réformée francophone établie à Sainte-Marie-aux-Mines depuis le milieu du XVIe siècle après avoir fui la répression dans le royaume de France. Johannes a donc été baptisé Jean en 1601, en l’église Saint-Pierre-sur-l’Hâte sur les hauteurs de Sainte-Marie, probablement entouré de ses parrains et marraines Jean Thiriot, Hugues Desloy et Marguerite, veuve de Goury Chaudeau.
Nous savons peu de choses sur son père Nicolas : il épouse Judith Schneider au tournant du XVIIe siècle et aura huit enfants avec elle, Jean étant l’aîné de la fratrie. S’il habite bien à Sainte-Marie-aux-Mines et y possède le droit de bourgeoisie au moment du mariage de son fils, on n’y trouve trace ni de son décès, ni de son union avec Judith, ni de sa naissance. Les actes ont-ils été perdus, ces événements se sont-ils déroulés ailleurs, n’ont-ils pas été déclarés ? Judith décède quant à elle à Barr en 1646, non sans s’être attirée les foudres du pasteur qui enterre cette « calviniste ou plus encore l’athée qui, de son vivant et à ma connaissance, n’a pas une seule fois assisté à l’office ! » 1 Un autre de ses fils, Pierre, également tanneur, s’installe à Ottrott dont il deviendra le prévôt. Faute de documents, la piste s’arrête avec Nicolas mais une dernière question reste à élucider : Jean est issu d’un milieu francophone mais plus tard, son prénom évolue en accord avec son nouvel environnement. Qu’en est-il de son nom ? Assurément, ce Degermann dénote au milieu des Thiriot, Desloy et autres Chaudeau…
Son acte de baptême nous apporte la réponse : Johannes, s’il ne s’appelait pas ainsi à sa naissance, ne se nommait pas non plus Degermann mais d’Aigremont (ses frères et sœurs se nommeront tour à tour Daigremont puis Dagrimon), Degermann n’étant que le résultat de la germanisation du nom (l’orthographe hésite d’ailleurs pendant un certain temps entre Degermann et Dägerman). Les parents, grands-parents de Nicolas ou peut-être Nicolas lui-même sont donc probablement originaires d’un endroit nommé Aigremont ou toute autre orthographe approchante. En admettant que celui-ci n’ait pas disparu, il existe aujourd’hui des dizaines de villages, hameaux et lieux-dits portant ce nom en France. Bien qu’il soit possible, en étudiant entre autres la répartition des communautés réformées sur le territoire français au XVIe siècle, d’identifier de bons candidats, on ne saurait en désigner un et il faudra pour l’instant en rester à ce que nous apprennent les sources de Barr et Sainte-Marie-aux-Mines.
En définitive, nous ne savons pas ce qui pousse Jean d’Aigremont à s’installer à Barr (ni son frère Pierre à Ottrott), lui le réformé, le « français », en terre luthérienne et germanique (quoique ce dernier point ait certainement été moins rédhibitoire que la question religieuse) mais toujours est-il que Jean, désormais Johannes Degermann, y fera souche, traversera les affres de la guerre de Trente Ans 2, aura quatre enfants avec Barbara puis encore six autres avec sa seconde épouse Ursula Wolff avant de s’éteindre en 1652, désormais membre à part entière de la communauté barroise.
1. « die Calvinistin oder viel mehr Atheistin, der bey lebszeiten, so viel mir bewust, vorher den Gottesdienst niemahls besucht »
2. Voir à ce sujet l’article Dans de sales draps qui donne un éclairage plus personnel sur cette période.