Suite de notre série sur les extraits remarquables des registres paroissiaux. Nous nous arrêtons cette fois sur le registre de La Petite-Pierre, à l’année 1637. La guerre de Trente Ans bat son plein et l’Alsace est dévastée. Cette dévastation se traduit dans les registres par une hausse considérable des décès couplée à une baisse non moins conséquente des baptêmes. Au-delà de la simple tenue de ce décompte macabre, nombre de pasteurs et de curés ressentent le besoin de coucher sur le papier la misère quotidienne qui affecte leurs paroissiens. Georg Hehl, inspecteur ecclésiastique de La Petite-Pierre, écrit ainsi, en nota bene entre deux actes de décès 1 :
« In diesem Jahr sin mir nit alle Personen so gestorben, angezeigt worden, da Theils Hungers gestorben und hie und da verschmacht, auch in Augusto ein Medle von Lehmberg, so essen tragen sollt von Wolfen gefressen, auch etliche von Wolfen wieder ausgeschorren und gefressen worden als … von Craffthal.
Ist also noch ein sehr betrübt Jahr gewesen, da die arme Leut in mangels natürlicher Speise, ohnatürliche Ding als Maus, Ratten, Schnecken, Mistel von den Bäumen, allerleÿ wild gekräut, Schwein-, Hund-, Katz-fell und Leder genossen, und daher in allerleÿ Seuch sonderlich Geschwulst und Fieber gefallen, häufig dahin gestorben und vollends das Land bis an den hiesigen ort, wüst und öd hinterlassen. Gott woll sich unser väterlich erbarmen ! »
Soit, traduit :
« En cette année toutes les personnes décédées ne m’ont pas été signalées, certaines étant mortes de faim et laissées à dépérir ici et là. En août une fillette de Lemberg qui portait de la nourriture a été dévorée par les loups. D’autres ont été déterrés et dévorés par les loups comme [nom manquant] de Graufthal.
Ce fut encore une année très dure car les pauvres gens, faute d’aliments convenables, durent se contenter de choses inhabituelles : souris, rats, escargots, gui des arbres, toutes sortes d’herbes sauvages, peaux de porcs, de chiens, de chats ainsi que du cuir ; à la suite de quoi ils souffrirent de tous types de maux, plus particulièrement d’abcès et de fièvres, desquels ils mouraient fréquemment. Le pays tout entier, jusqu’à ce lieu, se trouva vide et désolé. Seigneur aie pitié ! »
1. Le registre numérisé est consultable sur le site des Archives Départementales du Bas-Rhin à cette adresse : http://etat-civil.bas-rhin.fr/adeloch/index.php sous la référence La Petite-Pierre, Paroisse protestante, BMS, 1636-1787, 3 E 371/1. La page en question se trouve à la vue 211.
Des années terribles! C’est l’année où l’ont crève vraiment de faim (de nombreux cas de cannibalisme sont relevés) et où le duc Bernard de Saxe-Weimar s’acharne violemment sur l’Alsace.
Les registres sont pleins de témoignages de ce genre : personnes retrouvées mortes au bord de la route, dévorées par des meutes de loups ou de chiens sauvages. Je doute qu’un curé ou un pasteur se soit risqué à consigner ces cas de cannibalisme directement dans ses registres mais qui sait…
Mistel von den Baümen : déjà à l’époque le GUI (l’an neuf) parasitait les arbres et on connaissait ses « vertus toxiques » – non célébré/honoré comme par les druides celtes/gaulois.
Les registres de nos paroisses ne fixent que le vécu des pasteurs et curés : de nombreux villageois se réfugient derrière les murs des Flecken (cités fortifiées) des villes (Strasbourg) et on se méfiait, avec raison, des serviteurs de l’Eglise – agents du Seigneur des lieux.
A quoi bon posséder un train de culture si la soldatesque (ennemie ou amie) récoltait, détruisait…
Les cultures dérobées sont à l’honneur… et la contrebande !
http://baba-regio.pagesperso-orange.fr/welschkorn-10b.htm#)
FONDAMENTAL : dans le SERG, la noblesse dans ses luttes intestines fait appel depuis le Haut Moyen-Age au fahrendes Volk qui jargonne en Rotwelsch.
C’est un mish-mash des légendes urbaines qu’on nous raconte sur nos Zigginner, jenisch, manisch etc. Il fut un temps où les Waldteufel juifs et les Marx de Groucho préféraient se dire Zigginner que juifs. Une des missions du Congrès de Vienne était de sédentariser cette population apatride : travaux de poldérisation le long des cours d’eau marécageux. Non contents de leur situation (malaria jusqu’en 1917 à l’Ile Napoléon de Mulhouse), des promesses non tenues des gouvernements, ces ex fahrendes Volk forment le gros de la troupe des émigrants vers les Amériques et la main d’oeuvre de la ville lumière Paris (voir M. Koenig https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00979336/document)
Note cannibalisme : Clemenceau était lui même un cannibale avéré, ce n’est pas du reste une révélation. Très anti-clérical, il passait son temps a bouffer du curé. C’était là une de ses grandes satisfactions.
Mais voici un extrait de La mêlée sociale de Georges Clemenceau qui traite du sujet :
« Un « Révérend Père » a visité, en septembre dernier, des villages de la rive droite de l’Oubanghi (limite du Congo français), et voici son récit de ce qu’il a vu :
On amène les esclaves sur le marché, et celui qui ne peut pas se payer le luxe d’un esclave entier achète seulement un membre qu’il choisit à son goût. S’il choisit le bras, le client fait une marque longitudinale avec une sorte de craie blanche, et le propriétaire attend qu’un autre client choisisse un autre bras et lui fasse la même marque.
Chacun choisit ainsi les bras, les jambes, la poitrine etc. ; et lorsque tous les membres ont été marqués, on coupe tout simplement la tête du pauvre esclave, qui est immédiatement dévoré sur place.
Ces scènes sont atroces, mais s’expliquent, après tout, par la nécessité de satisfaire le plus respectable de tous les besoins : la faim. Et puis, ce sont les mœurs des ancêtres. Quoi de plus vénérable que les traditions de famille ? Tous les jours, dans les villages de cette immense Afrique noire, défendue contre la civilisation blanche par un soleil homicide, des scènes analogues se répètent depuis tant de milliers d’années qu’on n’en peut dire le nombre.
Les autres continents de la planète, pendant cette interminable durée, ont offert des spectacles, sans cesse renouvelés, qui n’ont guère différé que par la forme de ceux dont le récit nous paraît si choquant aujourd’hui. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que nous ayons attendu jusqu’à nos jours pour éprouver cette louable répugnance. Ce qui est plus surprenant encore, c’est que l’horreur de ces atrocités ne nous révolte vraiment que si nous y sommes étrangers.
Quelles leçons leur donnons-nous, d’ailleurs, qui nous permettent de le prendre de si haut avec eux ? […] Nos cannibales pensifs ne comprendront jamais les 30 000 Parisiens de la semaine de mai, abattus sans que Gallifet, lui même, y ait mis la dent. »