Le voleur, la sorcière et le juif : justice en Alsace au XVIIe siècle

Ce titre, ce pourrait être un conte ; ce n’en est pas un. Ce pourrait être une fable, ce n’en est pas une. Ce pourrait être le début d’une blague, ça ne l’est pas.

Cette histoire n’est ni drôle ni imaginaire et, bien qu’elle comporte des animaux, ne possède en aucun cas de morale. Cette histoire c’est une plongée historique dans la justice seigneuriale du XVIIe siècle en Alsace, pas n’importe quelle justice, pas celle des petits escrocs et des querelles de voisinage mais la grande, la haute, celle des meurtriers, des bandits de grand chemin mais également celle des sorciers, des sorcières et des bouc-émissaires.

Bouxwiller est au XVIIe siècle la capitale des comtes de Hanau-Lichtenberg et c’est à ce titre qu’une cour de haute justice y siège. Il existe également une basse et une moyenne justice dont les compétences ne sont pas forcément moindres mais seule la haute justice est en mesure de prononcer la peine capitale. Les registres de la paroisse protestante gardent de 1614 à 1633 la liste des condamnés à mort 1, introduite ainsi : « Schadhafte Personen und arme Sünder, wo durchs Peinlich Halßgericht zum Tod verurtheilt, und durch den Nachrichter zu Buchßweiler, abgethan worden » soit : « Personnes affligées et pauvres pêcheurs ayant été condamnés à mort par la cour criminelle et exécutés par le bourreau à Bouxwiller ». L’allemand a ceci d’intéressant qu’il permet d’exprimer des idées fortes en un seul mot, ici « Halßgericht » que j’ai traduit par « cour criminelle » mais qui signifie littéralement « tribunal du cou », faisant référence aux méthodes d’exécution alors en usage à l’époque.

En dix-neuf ans, cinquante-sept personnes seront condamnées à mort à Bouxwiller. Qui sont-elles et pour quels crimes ? Plus de la moitié l’est pour vol. Bien sûr il ne s’agit pas de menus larcins mais de sommes importantes, souvent dérobées avec violences pouvant aller jusqu’au meurtre et les condamnés sont dans la plupart des cas des multirécidivistes. D’autres sont reconnus comme bandits de grand chemin opérant, circonstance aggravante, sur des routes impériales théoriquement sûres. Un condamné enfin s’est rendu sacrilège en dérobant les biens de l’Église. Pour ces crimes, la méthode d’exécution retenue est la strangulation, parfois remplacée par la décapitation suite aux suppliques du condamné pour une mort rapide et probablement moins douloureuse. Un changement s’opère heureusement à partir de 1628 : les coupables sont toujours condamnés à mort mais, à l’exception d’une personne, la sentence est désormais commuée en bannissement.

Nous sommes dans le premier quart du XVIIe siècle, la chasse aux sorcières bat son plein. Pas moins de onze malheureuses sont ainsi exécutées rien qu’au cours de l’année 1617. La folie meurtrière se calme ensuite jusqu’en 1629 où trois nouvelles prétendues sorcières trouvent la mort. Aucun détail n’est donné sur les faits leur étant reprochés. Certaines sont veuves, d’autres ont un époux malade et hospitalisé au moment du procès, une dernière enfin est sage-femme, des raisons parfois suffisantes pour attirer la suspicion. Trois hommes sont également condamnés. Parmi eux, seul le premier l’est explicitement pour sorcellerie. Le deuxième est notre voleur d’Église que l’on accuse de « relations charnelles avec du bétail » ; le dernier reconnaît avoir incendié une grange, causant la mort de dix-sept bovins, mais déclare avoir agit « sous l’emprise de l’Ennemi ». La sentence est la même pour tous : étranglement ou décapitation puis crémation systématique du corps, aucun ne sera brûlé vif.

Le reste des condamnés est composé de meurtriers et d’assassins dont plusieurs infanticides ainsi qu’une tentative de double parricide. On recense également un beau-père incestueux et quelques adultères. Tous seront décapités. Deux affaires singulières sortent du lot. La première constitue l’épilogue d’une tragédie ayant frappé la ville de Pirmasens située aujourd’hui en Rhénanie-Palatinat à proximité de la frontière française mais appartenant à l’époque aux comtes de Hanau-Lichtenberg. En 1622, en pleine guerre de Trente Ans, la ville est partiellement incendiée par les troupes impériales qui agissent en représailles au meurtre de quatre des leurs par quatre habitants. Ces derniers sont accusés d’avoir désarmé, frappé puis abattu les soldats. La sentence se veut probablement exemplaire puisque tous sont condamnés au supplice de la roue avant d’être jetés aux flammes. La peine est finalement « allégée » et on leur accorde d’être « simplement » décapités.

La seconde affaire concerne un « juif mort, originaire d’Ettendorf » qu’on a pendu par les pieds, traitement réservé aux juifs, morts ou vifs. Son crime ? Avoir vendu à travers la seigneurie des « fausses coupes en argent ». Il n’avait pas été condamné à mort mais à une forte amende et est selon tout vraisemblance décédé durant sa détention. On remarquera également que son nom n’est pas mentionné, c’est « un juif ». La communauté israélite devra par la suite racheter son cadavre afin de pouvoir le descendre du gibet et l’enterrer, probablement au cimetière juif d’Ettendorf, déjà à l’époque l’un des plus anciens et des plus vastes de la région. J’avoue rester perplexe face au jugement rendu. Celui-ci parait quelque peu disproportionné au regard des sentences prononcées sur les autres affaires. Faut-il y voir une expression de l’antisémitisme rampant de l’époque ? Y’a-t-il une dimension religieuse sous-jacente ? La justice n’est cependant tout de même pas à sens unique puisque quelques années plus tôt, un berger est exécuté pour le meurtre « d’un juif » (là aussi, son identité n’est pas précisée).

Un dernier aspect mérite d’être abordé : celui de l’attitude des condamnés face à la mort. D’après les registres, la plupart y font face avec résignation mais courage tout en expiant leurs pêchés. Certains restent toutefois convaincus jusqu’au dernier moment qu’ils échapperont à l’exécution mais finissent par accepter leur sort et se réfugient alors dans la prière. Ces morts exemplaires sont-elles le reflet de la réalité ou le trait a-t-il été un peu forcé afin de leur offrir une chance de rédemption ? Certains compte-rendus semblent plus crédibles. Citons ainsi une femme condamnée pour sorcellerie qui perd tous ses moyens face au bourreau ou une autre encore, également condamnée pour sorcellerie, qui préférera se donner la mort dans sa cellule. L’on insiste dans ces deux cas sur le fait que la rédemption sera bien plus difficile à obtenir pour ces pauvres âmes.


1. La transcription intégrale de cette liste est disponible ici.

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