Aux morts de l’armée d’Orient

Il y a 160 ans éclatait la guerre de Crimée qui opposa de 1854 à 1856 l’Empire russe à une coalition formée des Empires français et ottomans, du Royaume-Uni et du Royaume de Sardaigne. Elle est considérée par certains comme la première guerre « moderne » du fait de l’utilisation de nouvelles technologies telles que le chemin de fer, les bateaux à vapeur ou le télégraphe ainsi que par la présence des premiers correspondants et photographes de guerre. Se déroulant loin de France, pour des raisons au premier abord peu évidentes pour la population, la guerre de Crimée fut vite oubliée, éclipsée dans la mémoire collective par les campagnes suivantes du Second Empire et particulièrement par le traumatisme de la guerre de 1870. Bien souvent figurent dans les registres de décès de 1854, 55 ou 56 une ou deux mentions « décédé à Constantinople » ou encore « soldat dans l’armée d’Orient ».

Philippe Stoeckel, grand-oncle de mon arrière-grand-mère, naît à Bust en 1833. Âgé de 21 ans en 1854 et ayant atteint l’âge de la conscription, il est affecté à la 9e compagnie d’ouvriers d’artillerie cantonnée à Strasbourg et quitte son village natal, sans doute sous les yeux de Georges, son petit frère et mon aïeul. Ces compagnies assuraient la maintenance du matériel et n’étaient pas des unités combattantes à proprement parler. Seules de plus amples recherches permettraient de déterminer le rôle qu’ont joué Philippe et sa compagnie lors de la guerre. Toujours est-il qu’à l’instar de ses compagnons, il souffre des conditions sanitaires déplorables et contracte le choléra en août 1855. Il est admis le 27 août à l’hôpital militaire de Maslak – aujourd’hui un des principaux quartier d’affaires d’Istanbul, à l’époque un village à proximité de Constantinople sur la rive européenne du Bosphore – et y succombe le 2 septembre. L’acte de décès rédigé sur place ne sera porté au registre de Bust que le 29 novembre suivant.

Philippe sera la seule victime de ce conflit à Bust. Celui-ci mobilisa 1 700 000 hommes dont 400 000 Français. Sur ce contingent, 95 000 n’en revinrent pas dont « seulement » 20 000 tombés au combat ou des suites de leur blessures ; les 75 000 restants succombant comme Philippe de maladies infectieuses, typhus et choléra pour la plupart. À Bust, la vie reprit son cours. Georges se maria dix ans plus tard ; peut-être nomma-t-il en 1869 mon trisaïeul Philippe Auguste en souvenir de son frère et peut-être encore eut-il en 1870, alors âgé de 31 ans et trop « vieux » pour participer au conflit, également une pensée pour son frère à la vue des jeunes du village quittant à leur tour leurs proches. Deux ne reviendront pas mais la famille Stoeckel sera cette fois épargnée.

2 réflexions sur « Aux morts de l’armée d’Orient »

  1. Bonjour,
    je me permets de signaler l’article « Soldats d’Alsace Bossue morts à la guerre de Crimée » que j’ai publié dans l’annuaire 2014 de l’Espace culturel du temple réformé de Sarre-Union (une liste de 128 noms).

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